22 août

En passant à la poste ce matin, maman a vu une affiche : une grande réunion d'information sur la prochaine rentrée au lycée aura lieu vendredi à 17 heures.

D'habitude, vers cette période de l'année, le temps change comme pour nous avertir que la fin des vacances est proche. Les soirées, plus fraîches et moins longues, annoncent la rentrée scolaire.

Mais ces temps derniers, tous les jours se ressemblent : ils sont froids, gris et secs. Parfois il fait lourd, alors qu'il ne pleut jamais. Et sans la lumière du soleil, il est difficile de voir si les jours raccourcissent ou non.

Je ne pensais plus du tout au lycée. Mais maintenant, je m'aperçois que j'ai hâte d'y retourner. Tout sera différent d'autrefois. Sans doute encore pire qu'en juin, ce qui n'est pas peu dire. Mais au moins j'aurai quelque chose à faire. Des gens à voir. Et même si je n'aime pas les examens et les devoirs à la maison (qui les aime ? !), au moins je peux prétendre qu'aller au lycée a un sens. Lorsqu'on suit des études, on attend toujours quelque chose : un contrôle, le bulletin scolaire, des examens en fin d'année.

Nous n'évoquons plus jamais le futur. Même proche. Comme si parler du lendemain risque de porter la poisse.

Le lycée de la fin du monde peut bien être un lieu horrible, c'est déjà merveilleux qu'il existe. J'irai à la réunion de vendredi avec maman, pour voir.

 

26 août

Je ne relis jamais ce journal. La situation est assez difficile comme ça sans que j'aie besoin de me la rappeler à chaque instant.

J'ai seulement parcouru ce que j'avais écrit il y a quatre jours. Toutes ces niaiseries sur le bonheur d'aller en cours. Les tests. Bouh-hou-hou. Le bulletin scolaire. Bouh-hou-hou. Le futur. Bouh-hou-hou puissance dix.

Maman, Jonny et moi avons assisté à la réunion. Matt, qui n'était pas contre un petit moment de tranquillité, est resté à la maison.

La salle de conférences du lycée était bourrée à craquer, ce qui aurait été bon signe si elle n'avait été remplie d'adultes et d'élèves de tous âges. On aurait dit que tous les enfants qui restaient dans le district étaient venus là avec leurs parents.

Le président du conseil d'établissement (qui n'était autre que le père d'Aaron — à la grande joie de Jonny) et les membres qui n'avaient pas quitté la ville, ainsi que deux directeurs, se tenaient sur l'estrade. Le père d'Aaron a pris la parole :

— D'après les chiffres, non confirmés, la moitié des élèves scolarisés du district ne reprendront pas les cours ici. De même qu'un pourcentage légèrement plus élevé d'enseignants et d'administratifs.

C'est marrant. Je vais en ville au moins deux fois par semaine, j'ai évidemment remarqué que les rues étaient moins fréquentées qu'avant, et pourtant ça ne m'a pas fait tilt. Tous les magasins sont fermés. Une seule station-service est ouverte, et uniquement le mardi. J'avais attribué cette baisse de fréquentation au fait que les gens n'ont plus rien à faire en ville. Je n'avais pas réalisé qu'ils étaient partis. Ou trop malades pour se déplacer. Ou mourants.

 Nos ressources sont très limitées, a poursuivi le père d'Aaron. La semaine dernière, le gouverneur a contacté tous les directeurs d'établissement de Pennsylvanie pour les prévenir qu'ils ne devaient s'attendre à aucune aide de l'État. Chaque district doit se débrouiller tout seul. Notre situation n'est certainement pas pire que celle des autres, mais pas meilleure non plus.

Le silence s'est abattu d'un coup. Même les petits qui pleuraient se sont tus.

 Le conseil d'administration, du moins ce qu'il en reste, a essayé d'imaginer comment s'organiser en fonction de nos maigres moyens. Ces décisions ont été longues et difficiles à prendre. Nous aussi, nous avons des enfants.

J'ai cru qu'il allait annoncer qu'il n'y aurait plus de cours, mais non. En tout cas, pas de manière aussi radicale.

 Nous avons pensé que pour l'instant, le meilleur usage que nous pouvions faire de notre budget est de rouvrir seulement deux établissements : le lycée et l'école élémentaire de Maple Hill. Les parents enverront leurs enfants dans celui qui se trouve le plus près de chez eux. Les cours commenceront le 31 août.

 Et les bus ? a demandé un parent.

 Pas de service de ramassage, a répondu le père d'Aaron. Pas dans l'immédiat.

 J'habite à 9 kilomètres du lycée, est intervenu un autre parent. Et Maple Hill doit se trouver à 15 kilomètres de chez moi. J'ai deux enfants en primaire. Comment voulez-vous qu'ils se rendent à l'école ?

 Vous devrez vous organiser entre vous, a proposé le père d'Aaron. Peut-être les emmener à tour de rôle avec les enfants des voisins.

Beaucoup de gens ont ricané.

 Et la nourriture ? a hurlé un autre parent. Mes enfants ont faim. Je comptais sur la cantine.

 Nous ne pouvons pas servir de repas, a précisé le père d'Aaron. Donnez à vos enfants un petit déjeuner abondant et bien consistant, et faites-les manger de retour de l'école.

 Et vous pouvez nous dire où on va le trouver, ce petit déjeuner abondant et bien consistant ? a raillé une femme.

Le père d'Aaron l'a ignorée et tout le monde s'est mis à parler en même temps.

 Évidemment, les établissements seront privés d'électricité, a-t-il ajouté. Nous demandons aux parents de fournir à chacun de leurs enfants une lampe torche pour la classe. Nous essaierons de faire le meilleur usage possible de la lumière du jour, mais comme vous le savez tous, elle est devenue rare ces temps derniers. Les cours auront lieu de 9 heures à 14 heures, mais nous devrons sans doute modifier ces horaires à l'approche de l'hiver.

 Et le chauffage ? a crié quelqu'un.

Le père d'Aaron a vraiment assuré : moi, à sa place, ça fait longtemps que je serais partie en courant. Lui, il prenait les questions comme elles venaient.

 Les établissements sont chauffés au gaz, a-t-il expliqué. J'ai parlé au vice-président de la compagnie la semaine dernière. Il n'a pu me garantir s'il y aurait ou non du gaz dans les conduits après septembre.

 Attendez, a hurlé un homme. Cela vaut seulement pour l'école ou pour tout le monde ?

 Pour tout le monde, a répondu le père d'Aaron. Croyez-moi, je l'ai interrogé longuement sur le sujet. D'après les estimations les plus optimistes, les réserves de gaz seront épuisées d'ici le début du mois d'octobre.

 Même pour l'hôpital ? a demandé quelqu'un. S'ils ont l'électricité là-bas, ils doivent bien avoir du chauffage ?

 Je ne peux pas parler au nom de l'hôpital, a dit le père d'Aaron. Ils ont peut-être des générateurs électriques. Ce n'est pas le cas des écoles. Nous nous chauffons au gaz naturel et il nous faut tenir compte du fait que nous n'en aurons plus d'ici octobre.

 Si je vous comprends bien, vous voulez que mes gosses fassent 15 kilomètres à pied pour crever de faim et de froid à l'école ? a hurlé une femme. C'est ça ?

Le père d'Aaron a continué vaille que vaille.

 Au cas où quelqu'un aurait encore des doutes sur la question, les activités extrascolaires sont supprimées. Et nombre de cours du lycée ne peuvent plus être assurés. Nous allons nous efforcer de répartir les enseignants de façon équitable sur les deux établissements, mais on ne peut présumer de la disponibilité de chaque professeur. Il n'y aura pas de travaux pratiques en SVT, ni d'EPS. Nous avons de la chance que Mrs Underhill, l'infirmière scolaire, travaille toujours parmi nous. Elle va partager son temps entre le lycée et Maple Hill. Nous lui avons demandé de veiller à ce que tout élève qui se plaint d'une douleur quelconque reste à l'infirmerie puisque nous n'aurons aucun moyen de contacter les parents. Et, naturellement, nous voulons éviter à tout prix qu'un enfant malade puisse contaminer ses camarades de classe.

 Comment pouvons-nous être sûrs que Mrs Underhill va rester ? a demandé un homme. Ou n'importe quel enseignant ? Et s'ils décident de partir ?

 Cela est toujours possible, a estimé le père d'Aaron. Aucun de nous ne peut prévoir avec certitude ce qui va se passer ce mois-ci, encore moins les mois suivants. Nous essayons de faire tout notre possible, et nous sommes d'avis que quelques cours valent mieux que pas de cours du tout. Si vous pensez que vos enfants auraient avantage à étudier à domicile, signalez-vous dans l'un des deux établissements pour obtenir les manuels appropriés.

Il a bravé la foule en silence pendant un long moment avant de demander :

 Pas d'autres questions ?

En fait elles se sont mises à fuser, mais elles concernaient avant tout le gaz naturel. Ce devait être la première fois que ces gens entendaient dire qu'on était à court de réserves.

Une fois rentrée à la maison, j'ai enfin réalisé que notre cuisinière et notre chauffe-eau marchaient aussi au gaz.

J'en ai parlé à maman, et elle m'a dit que nous utiliserions le poêle à bois pour chauffer l'eau et cuisiner, et que tout irait bien. Elle se demandait comment allaient faire les gens qui n'avaient pas de poêle, mais elle pensait qu'ils partiraient, qu'ils iraient tenter leur chance dans le Sud ou ailleurs. Encore que, après avoir entendu ce matin la radio annoncer des gelées précoces en Caroline du Nord, elle ne soit pas sûre que la situation y soit vraiment meilleure.

Les récoltes sont mauvaises partout parce qu'il n'y a pas eu le moindre rayon de soleil depuis plus d'un mois. Ni la moindre goutte de pluie. Du coup, où que nous vivions, nous allons tous crever de faim et de froid.

Ce ne sont pas ses termes exacts. En fait, elle a dit que ça se passerait bien pour nous parce que nous avions du bois, des vivres et que nous nous serrions les coudes.

Elle nous a demandé, à Jonny et à moi, de réfléchir au sujet des cours. Si nous avions envie d'y aller, elle n'était pas contre. Si nous préférions rester à la maison, elle et Matt seraient nos professeurs et c'était bien aussi. Ça ne poserait pas de problème si l'un de nous voulait suivre les cours et pas l'autre. Chacun de nous devait décider ce qu'il souhaitait pour lui-même, et elle respecterait ce choix.

Je crois que je vais tenter le coup. Ça va faire tellement bizarre, d'aller en classe sans Megan ni Sammi, sans Dan ni tous les autres élèves que je connais. Mais si je ne me suis pas encore habituée aux situations curieuses, je me demande bien quand j'en aurai l'occasion.

 

27 août

D'après maman, Maple Hill et le lycée se trouvent à distance à peu près égale de la maison, et personne ne verra d'inconvénient à ce que nous choisissions l'un plutôt que l'autre. Par contre, si nous décidons tous les deux d'aller en classe, elle préférerait que nous options pour le même établissement.

J'en ai parlé à Jonny cet après-midi. Retourner en cours ne le rendait pas fou de joie, mais quitte à choisir, il aimait autant Maple Hill. Sans doute parce que c'est un endroit familier pour lui.

Évidemment, j'aurais préféré le lycée. Maple Hill est vraiment pour les petits, du cours préparatoire au CM2. Je me demande même si les bureaux ne seront pas trop bas pour moi.

Le plus drôle dans l'histoire, c'est que Jonny est plus grand que moi.

 

28 août

Journée noire.

Pour commencer, ma montre s'est arrêtée. Il suffirait de changer la pile, sauf que je me vois mal me pointer à la galerie marchande pour en acheter une nouvelle. Et le radioréveil dans ma chambre est électrique, si bien qu'il ne marche plus depuis des semaines.

J'avais pris l'habitude de regarder par la fenêtre pour avoir une idée de l'heure. Oh, pas à la minute près, mais au moins on pouvait distinguer l'aube du crépuscule. Sauf qu'avec ce ciel gris en permanence, l'aube est à peine différente de la nuit. On peut vaguement se rendre compte que le ciel est plus clair, mais rien ne rappelle un lever de soleil. Donc, maintenant, quand je suis au lit, je n'ai aucun moyen de savoir l'heure. J'ignore quelle importance cela peut avoir pour moi, mais de fait, cela en a.

Quand j'ai fini par me lever ce matin, Maman faisait une tête d'enterrement. Et m'a dévidé son chapelet de mauvaises nouvelles.

Tout d'abord, la gelée de la nuit dernière avait provoqué un désastre : les arbres commençaient à perdre leurs feuilles et toutes les plantations de maman étaient mortes. On se serait crus à la fin octobre, et nous savons tous que si août est comme ça, l'hiver prochain sera un véritable enfer.

Maman avait sauvé ce qu'elle avait pu de sa production de légumes, mais bien sûr ils n'avaient pas eu l'occasion de donner. Les tomates : minuscules. Les courgettes : encore pires. Nous étions bien contents de les avoir, et sautés à l'huile d'olive, c'était un vrai délice. Mais pour elle qui rêvait de dizaines de bocaux de conserves, la déception était rude, et je sais quelle s'inquiète de l'épuisement de nos réserves depuis deux mois.

Nous avons passé la journée à déterrer les racines — pommes de terre, carottes et navets qu'elle avait semés. Ils avaient l'air plus petits que la normale, aussi, mais c'était mieux que rien ; nous pouvons toujours en manger pendant quelques jours et faire des conserves avec le reste.

Après avoir épuisé le sujet du gel fatal, maman a enchaîné sur la radio : depuis deux jours elle avait tenté de la faire marcher, en vain. Nous avons trois postes à piles, et elle les a tous essayés. Nous nous y sommes mis nous aussi, car aucun de nous n'avait envie de la croire. Mais bien sûr elle disait vrai. Tout ce que nous pouvions entendre, c'étaient des parasites.

Je n'ai plus écouté les infos depuis des mois. Je ne voulais apprendre que le strict nécessaire. Mais chaque matin, maman écoutait la radio pendant quelques minutes, et elle nous transmettait l'essentiel.

A présent, nous ne saurons plus rien.

Les stations de radio ont dû épuiser leurs ressources en électricité. D'après Matt, même si les plus puissantes ont leurs propres générateurs, ceux-ci ont une capacité limitée.

Sans nouvelles du monde réel, il est facile d'imaginer que celui-ci n'existe plus, et que seul Howell, Pennsylvanie, survit.

Et si New York, Washington ou Los Angeles disparaissaient ? Je n'arrive déjà plus à me représenter Londres, Paris ou Moscou.

Comment savoir ? Je ne sais même plus quelle heure il est.

 

29 août

Ce matin, il s'est passé quelque chose qui m'a terrifiée, et je ne sais pas si je dois en parler à maman ou à Matt.

Je me suis proposée pour aller en ville aujourd'hui. Je voulais tester le trajet à vélo jusqu'au lycée, au cas où Jonny et moi nous retrouverions là-bas. Pour Maple Hill nous emprunterions des petites routes de campagne, mais il est plus logique de traverser la ville pour se rendre au lycée.

J'avais aussi des livres à rendre à la bibliothèque. Je me demande comment nous allons faire une fois qu'elle sera fermée. Elle n'ouvre plus que deux jours par semaine, le lundi et le vendredi, comme la poste.

Je me suis emmitouflée (il faisait 5°C, et l'odeur de l'air et la grisaille en permanence donnent l'impression qu'il fait encore plus froid), j'ai enfourché ma bicyclette et me suis dirigée vers la ville. Je pédalais le long de la Grand-Rue quand j'ai senti qu'il y avait un truc qui clochait. Il m'a fallu un moment pour réaliser ce que c'était, puis j'ai compris : j'entendais des rires.

Et ces rires étaient déplaisants. Terrifiants. Je me suis arrêtée tout doucement et j'ai plus ou moins caché mon vélo à un endroit où j'avais une vue assez dégagée sur les environs.

Sur les cinq types que j'ai alors aperçus dans la Grand-Rue, j'en ai reconnu deux : Evan Smothers, qui était au lycée avec moi, dans la classe supérieure, et Ryan Milleril faisait partie de l'équipe de hockey de Matt. Les autres gars avaient l'air sensiblement du même âge, peut-être un peu plus vieux.

Ryan et un autre étaient armés de pistolets. Il n'y avait personne sur qui tirer : en dehors d'eux, la rue était déserte. Deux des types arrachaient le contreplaqué des devantures.

Puis un troisième a brisé la vitrine et s'est introduit dans un magasin.

Tous les commerces en ville sont vides. Il n'y a plus rien à prendre à l'intérieur. Je me demandais bien pourquoi ces gars-là se fatiguaient à vouloir entrer. En fait, c'était le contreplaqué qui semblait les intéresser. Ils ôtaient les panneaux et les chargeaient dans une camionnette.

Je suis restée environ cinq minutes à les observer (en tout cas je suppose, puisque je n'ai plus de montre). Personne n'a essayé de les en empêcher. Personne ne s'est même montré. Autant que je sache, j'étais la seule à assister à la scène.

Puis je me suis souvenue que le commissariat se trouvait deux rues plus haut.

Je ne me rappelle pas avoir eu aussi peur de toute ma vie. Les types ne semblaient pas avoir remarqué ma présence, mais si l'un d'eux m'avait vue, il aurait pu me tirer dessus. Ou pas. Ils se seraient peut-être juste moqués de moi. Difficile à dire.

Mais j'avais trop la rage de les voir saccager les magasins et voler le contreplaqué, et même de réaliser qu'ils disposaient d'une camionnette et donc d'essence. J'ai pensé à Sammi avec son George. J'ai imaginé toutes ces bandes qui devaient sévir un peu partout, qui volaient et revendaient leur butin aux gens qui pouvaient payer. Payer à n'importe quel prix.

Et comme j'étais encore plus furieuse que morte de trouille, j'ai remonté discrètement la colline et j'en ai fait le tour pour rejoindre le commissariat. J'ignorais si les flics auraient le temps de surprendre les voleurs, mais au moins je pouvais en identifier deux sur cinq.

Sauf que lorsque je suis arrivée au commissariat, il était fermé. Les portes verrouillées. J'ai donné de grands coups dedans. Je ne voulais pas crier parce que les types n'étaient qu'à deux rues de là, et je craignais qu'ils se rendent compte de mes intentions. J'ai glissé un œil par la fenêtre. Evidemment, tout était sombre, pas moyen de voir qui que ce soit.

On ne peut pas dire que le commissariat de Howell ait jamais été très actif. C'est tout juste s'il servait à quelque chose. Mais j'aurais pensé que quelqu'un au moins y assurerait une permanence.

J'avais dû me tromper.

J'ai essayé de réfléchir à une autre solution. Les pompiers ? Je me suis rappelé que lors de sa dernière visite, Peter avait raconté que les gens allumaient des feux dans leur maison pour se réchauffer, provoquant ainsi des incendies, et qu'avec la fermeture de la caserne de pompiers, on voyait de plus en plus de grands brûlés débarquer à l'hôpital. Il fallait faire attention au feu.

Peter et ses histoires à dormir debout. Au moins il ne nous conseillait plus de faire attention aux moustiques, car ceux-ci s'étaient évanouis dès les premiers froids.

Penser à Peter m'a fait penser à l'hôpital. Au moins un endroit où il y avait des gens ! J'ai fait un détour de près d'un kilomètre pour éviter de traverser la ville et je me suis retrouvée là-bas.

Les choses avaient beaucoup changé depuis la dernière fois. Deux gardiens armés se tenaient devant la porte d'entrée principale, et deux autres devant l'entrée des urgences où attendaient une bonne vingtaine de personnes.

J'ai rejoint l'entrée principale.

— Les visites ne sont pas autorisées, a dit un des gardes. Si c'est pour une urgence, il faut te présenter à l'entrée là-bas et attendre qu'une infirmière s'occupe de toi.

 Je voudrais parler à un officier de police, ai-je expliqué. Je viens du commissariat, mais il n'y avait personne.

 Nous ne pouvons rien pour toi, a répondu le garde. Nous appartenons à une compagnie privée. Rien à voir avec le commissariat.

 Qu'est-ce que vous faites ici, alors ? Où est la police ?

 Nous sommes ici pour interdire l'accès de l'hôpital à toute personne qui ne nécessite pas de soins, a récité le garde. Nous empêchons les gens de venir voler de la nourriture, des couvertures ou des médicaments. Je ne sais pas où sont les policiers municipaux.

 Ils ont dû quitter la région, est intervenu l'autre garde. J'en connais deux qui sont partis dans le Sud avec leur famille, il y a un mois. Pourquoi as-tu besoin de la police ? On t'a attaquée ?

J'ai secoué la tête.

 Eh bien, une fille de ton âge ne devrait pas se promener toute seule comme ça, a continué le garde. Moi, je ne laisserais jamais mes filles ni ma femme sortir sans moi.

L'autre garde a hoché la tête.

 Par les temps qui courent, on n'est jamais trop prudent. Une femme n'est plus en sécurité nulle part.

 Merci, ai-je dit, sans savoir vraiment pourquoi. Je crois que je vais rentrer, maintenant.

 Bonne idée, a approuvé le garde. Et reste à la maison. Dis à tes parents d'être un peu plus vigilants avec leurs enfants. Une fille comme toi pourrait très bien ne jamais revenir de son petit tour à vélo.

Sur le chemin du retour, je n'ai pas arrêté de trembler. La moindre ombre, le moindre bruit me faisaient sursauter.

Je n'irai pas au lycée. La seule manière de m'y rendre est de traverser la ville. Et pour aller à Maple Hill il faut prendre des petites routes de campagne. Et là aussi, on peut tomber sur n'importe qui. Je ne peux pas vraiment compter sur Jonny pour jouer les gardes du corps.

Quand je suis rentrée, maman n'a pas remarqué que les livres de la bibliothèque étaient les mêmes que tout à l'heure. Lorsqu'elle m'a demandé si j'avais trouvé une lettre de papa, j'ai menti et j'ai dit qu'il n'y en avait pas. Ce n'est sans doute pas tout à fait un mensonge, mais je me sens quand même un peu mal.

Je ne sais pas quoi faire.

 

30 août

Au dîner, maman nous a demandé, à Jonny et à moi, ce que nous avions décidé.

 Je ne crois pas que j'irai, a répondu Jonny. Il va manquer tellement de gens.

 Tu réalises que tu devras étudier à la maison ? Tu ne peux pas te contenter de rester ici les bras croisés.

 Je sais. Je travaillerai sérieusement.

 Et toi, Miranda ?

J'ai aussitôt fondu en larmes.

 Oh, Miranda, a soupiré maman d'une voix désespérée. Je suis sortie de la cuisine en courant et me suis précipitée dans ma chambre. Tout à fait consciente d'agir comme si j'avais douze ans.

Au bout de quelques minutes, Matt a frappé à la porte.

 Ça va ?

Je me suis mouchée et j'ai hoché la tête.

 Il y a quelque chose qui te dérange en particulier ? La question était tellement grotesque que je me suis mise à rire de façon hystérique.

J'ai cru que Matt allait me gifler, mais lui aussi a éclaté de rire. Il nous a fallu quelques minutes pour nous calmer, et j'ai réussi à lui raconter ce qui s'était passé en ville. Tout. Je lui ai parlé des deux types que j'avais reconnus, du commissariat fermé et des avertissements des gardes de l'hôpital.

 Pourquoi n'as-tu rien dit à maman de tout ça ? a demandé Matt.

 Elle a suffisamment de soucis.

Matt est resté silencieux.

 Les gardes ont sans doute raison, a-t-il conclu au bout d'un moment. Toi et maman, vous ne devriez plus sortir seules. Jusque chez Mrs Nesbitt, passe encore, mais pas au-delà.

 Donc nous sommes prisonnières.

 Miranda, nous sommes tous prisonniers. Tu crois que ça me plaît de vivre comme ça ? Je ne peux pas retourner à Cornell. Je ne sais même pas si cette ville existe encore, mais si c'était le cas, je ne pourrais m'y rendre ni en voiture, ni à vélo, ni même en faisant du stop. Je suis coincé ici, moi aussi. Et ça ne m'amuse pas plus que toi.

Je ne sais jamais quoi dire quand Matt admet qu'il est malheureux. Donc je n'ai rien dit.

 Tu as raison au sujet des cours, a-t-il repris. La ville n'est plus un endroit sûr pour toi. À partir de maintenant, c'est moi qui irai à la bibliothèque et à la poste. Mais si tu veux tenter Maple Hill, je t'accompagnerai le matin et viendrai te chercher l'après-midi.

J'y ai réfléchi. On ne peut pas dire que l'idée d'aller à l'école me fasse bondir de joie. D'un autre côté, ça me rend dingue de penser que je suis obligée de rester à la maison. Comme je risque fort de ne jamais quitter Howell, j'aimerais au moins pouvoir sortir de chez moi.

— D'accord, ai-je convenu. Je vais tenter Maple Hill. Mais ne répète rien à maman au sujet de ce matin. Je ne veux pas qu'elle s'inquiète encore plus que d'habitude. Matt a hoché la tête.

Quand je pense que demain c'est la rentrée. Bouhouhou !

Chroniques de la fin du monde : Au commencement
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